dimanche 14 juillet 2019

Epluche-légumes


Un jour de vacances chez ma grand-mère, avec ma mère et ma tante, je crois que ma sœur n'était pas là, l'une d'entre elle m'a dit une chose que je n'ai jamais oubliée. Je crois que c'était ma mère, appuyée assez vite par des « ah oui », et des « ah oui oui » venant de ma grand-mère et de ma tante. On épluchait des patates, j'étais assez jeune, il me semble que je n'avais pas encore de seins, ou tout juste. Ma mère m'a raconté qu'à l'époque -et dans son « à l'époque » il y avait du « jadis », du « autrefois »- on demandait à une femme d'éplucher un kilo de patates avec un couteau de cuisine avant de la marier (maintenant que j'y pense « l'époque » devait se situer entre l'invention du couteau de cuisine et celle de l'épluche-légume). Si elle prenait trop de chair sur la patate en enlevant la peau, elle était dépensière et peu fiable. Si elle dépeçait minutieusement la pomme de terre en lambeaux de peau fins comme du papier bible, elle était pingre. Dans les deux cas, les hommes n'avaient pas envie de l'épouser. Enfin c'est la conclusion que j'en ai tiré.
La femme parfaite se situe donc au juste milieu, celle qui enlève assez de chair, qui sait dépenser ses sous (et offrir son corps ? Ça, c’est moi, avec le temps, qui ai agrémenté mon souvenir) avec générosité mais pas aveuglément (comme une traînée?). La femme à qui un peu de chair ne fait pas peur, qui ne cache pas sa joie ni sa maîtrise de la juste mesure en toute chose. Qui voudrait d'une femme brouillon et sans discernement, sans amour-propre ? Parce que oui, si on file ma métaphore, on arrive sur l'amour-propre, l'honneur, la grandeur d'âme. Et qui voudrait d'une femme qui compte, qui tire la gueule (parce que si elle compte, elle tire la gueule), d'une femme frigide ?
A chaque fois que j'épluche un putain de légume, j'y pense. Un légume ou un fruit, d'ailleurs. La plupart du temps, j'utilise un épluche-légume alors le pire est évité, mais il m'arrive d'utiliser un couteau parce que l'épluche-légume n'est pas idéal pour tout. Et dans ces moments-là, je flippe. Je regarde l'épaisseur de mes épluchures. Avant je regardais au-dessus de mon épaule, quand j'habitais avec quelqu'un par qui j'étais « épousable ». Assez peu souvent, trop peu souvent, je me suis dit que cette histoire m'avait tout de même raconté que les hommes choisissent les femmes, comme de beaux et bons produits. Trop peu souvent aussi, je me suis demandé pourquoi on ne m'avait jamais raconté d'histoires de femmes qui ont un rituel pour choisir les hommes.
Il a fallu attendre de lire Belle Du Seigneur, de la page 295 à la page 335 de l'édition Gallimard, pour que l'on me dise que les femmes choisissent, elles aussi, leurs hommes. Pour des raisons tout aussi connes et primordiales.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

A chaque fois que j'épluche un légume
La vulgarité est inutile !!!!!!