Un jour de vacances chez
ma grand-mère, avec ma mère et ma tante, je crois que ma sœur
n'était pas là, l'une d'entre elle m'a dit une chose que je n'ai
jamais oubliée. Je crois que c'était ma mère, appuyée assez vite
par des « ah oui », et des « ah oui oui »
venant de ma grand-mère et de ma tante. On épluchait des patates,
j'étais assez jeune, il me semble que je n'avais pas encore de
seins, ou tout juste. Ma mère m'a raconté qu'à l'époque -et dans
son « à l'époque » il y avait du « jadis »,
du « autrefois »- on demandait à une femme d'éplucher
un kilo de patates avec un couteau de cuisine avant de la marier
(maintenant que j'y pense « l'époque » devait se situer
entre l'invention du couteau de cuisine et celle de
l'épluche-légume). Si elle prenait trop de chair sur la patate en
enlevant la peau, elle était dépensière et peu fiable. Si elle
dépeçait minutieusement la pomme de terre en lambeaux de peau fins
comme du papier bible, elle était pingre. Dans les deux cas, les
hommes n'avaient pas envie de l'épouser. Enfin c'est la conclusion
que j'en ai tiré.
La femme parfaite se
situe donc au juste milieu, celle qui enlève assez de chair, qui
sait dépenser ses sous (et offrir son corps ? Ça, c’est moi,
avec le temps, qui ai agrémenté mon souvenir) avec générosité
mais pas aveuglément (comme une traînée?). La femme à qui un peu
de chair ne fait pas peur, qui ne cache pas sa joie ni sa maîtrise
de la juste mesure en toute chose. Qui voudrait d'une femme brouillon
et sans discernement, sans amour-propre ? Parce que oui, si on
file ma métaphore, on arrive sur l'amour-propre, l'honneur, la
grandeur d'âme. Et qui voudrait d'une femme qui compte, qui tire la
gueule (parce que si elle compte, elle tire la gueule), d'une femme
frigide ?
A chaque fois que
j'épluche un putain de légume, j'y pense. Un légume ou un fruit,
d'ailleurs. La plupart du temps, j'utilise un épluche-légume alors
le pire est évité, mais il m'arrive d'utiliser un couteau parce que
l'épluche-légume n'est pas idéal pour tout. Et dans ces
moments-là, je flippe. Je regarde l'épaisseur de mes épluchures.
Avant je regardais au-dessus de mon épaule, quand j'habitais avec
quelqu'un par qui j'étais « épousable ». Assez peu
souvent, trop peu souvent, je me suis dit que cette histoire m'avait
tout de même raconté que les hommes choisissent les femmes, comme
de beaux et bons produits. Trop peu souvent aussi, je me suis demandé
pourquoi on ne m'avait jamais raconté d'histoires de femmes qui ont
un rituel pour choisir les hommes.
Il a fallu attendre de
lire Belle Du Seigneur, de la page 295 à la page 335 de l'édition
Gallimard, pour que l'on me dise que les femmes choisissent, elles
aussi, leurs hommes. Pour des raisons tout aussi connes et
primordiales.
2 commentaires:
A chaque fois que j'épluche un légume
La vulgarité est inutile !!!!!!
D'accord avec vous vulgaire et pas malin
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